Page 90 - GUERRE DE JUGHURTA par SALLUSTE - Traduction Ch. Durozoir - 1865 - DZWEBDATA
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LXXIX. Puisque les affaires de Leptis nous ont conduit
dans ces contrées, il ne sera pas hors de propos de raconter
un trait héroïque et admirable de deux Carthaginois, le lieu
même nous y fait penser. Dans le temps que les
Carthaginois donnaient la loi à presque toute l'Afrique, les
Cyrénéens n'étaient guère moins riches et moins puissants.
Entre les deux Etats était une plaine sablonneuse, toute
unie, sans fleuve ni montagne qui marquât leurs limites. De
là une guerre longue et sanglante entre les deux peuples,
qui, de part et d'autre, eurent des légions, ainsi que des
flottes détruites et dispersées, et virent leurs forces
sensiblement diminuées. Les vaincus et les vainqueurs,
également épuisés, craignant qu'un troisième peuple ne vînt
les attaquer, convinrent, à la faveur d'une trêve, qu'à un
jour déterminé des envoyés partiraient de chaque ville, et
que le lieu où ils se rencontreraient deviendrait la limite des
deux territoires. Deux frères nommés Philènes, que choisit
Carthage, firent la route avec une grande célérité, les
Cyrénéens arrivèrent plus tard. Fut-ce par leur faute ou par
quelque accident ? c'est ce que je ne saurais dire car, dans
ces déserts, les voyageurs peuvent se voir arrêtés par les
ouragans aussi bien qu'en pleine mer ; et, lorsqu'en ces
lieux tous unis, dépourvus de végétation, un vent
impétueux vient à souffler, les tourbillons de sable qu'il
soulève remplissent la bouche et les yeux, et empêchent de
voir et de continuer son chemin. Les Cyrénéens, se
trouvant ainsi devancés, craignent, à leur retour dans leur
patrie, d'être punis du dommage qu'ils lui avaient fait
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