Page 98 - GUERRE DE JUGHURTA par SALLUSTE - Traduction Ch. Durozoir - 1865 - DZWEBDATA
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leur infamie personnelle. D'après mon sentiment, la nature,
notre mère commune, fait tous les hommes égaux ; le plus
brave est le plus noble. Si l'on pouvait demander aux pères
d'Albinus ou de Bestia, qui d'eux ou de moi ils voudraient
avoir engendrés, croyez-vous qu'ils ne répondraient pas
qu'ils voudraient avoir pour fils les plus vertueux ? S'ils se
croient en droit de me mépriser, qu'ils méprisent donc leurs
aïeux, ennoblis comme moi par leur vertu. Ils sont jaloux
de mon illustration, qu'ils le soient aussi de mes travaux, de
mon intégrité, de mes périls : car c'est à ce prix que je l'ai
acquise. Mais, aveuglés par l'orgueil, ils se conduisent
comme s'ils dédaignaient les honneurs que vous dispensez,
et ils les sollicitent comme s'ils les avaient mérités parleur
conduite. Certes, ils s'abusent d'une étrange manière, de
vouloir réunir en eux des choses si incompatibles : les
lâches douceurs de l'indolence et les récompenses de la
vertu. Lorsque, dans vos assemblées ou dans le sénat, ils
prennent la parole, leurs discours ne roulent que sur l'éloge
de leurs ancêtres, en rappelant les belles actions de ces
grands hommes, ils pensent se donner à eux-mêmes du
relief. Loin de là ; plus la vie des uns eut d'éclat, plus la
lâcheté des autres est dégradante. Et c'est une vérité
incontestable : la gloire des ancêtres est comme un
flambeau qui ne permet point que les vertus ni les vices de
leurs descendants restent dans l'obscurité. Pour moi,
Romains, je suis dépourvu de cet avantage mais, ce qui est
beaucoup plus glorieux, il m'est permis de parler de mes
exploits. Maintenant voyez quelle est leur injustice ! Ils se
font un titre d'une vertu qui n'est pas la leur, et ils ne
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